37 propositions réparties en 6 axes pour réinventer l'égalité républicaine
Publié le :
08/12/2025
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Les 37 propositions ci-dessous se répartissent en six axes : réforme constitutionnelle et normative (axe 1) ; gouvernance de l’Etat et pilotage Outre-mer (axe 2) ; langage institutionnel, identité et mémoire (axe 3) ; accès au droit, aide juridictionnelle et professions (axe 4) ; ressources humaines judiciaires et formation (axe 5) et organisation et politiques publiques sectorielles (axe 6) et sont la suite de l'article publié par Patrick Lingibé dans la revue Actu-Juridique intitulé Réinventer l'égalité républicaine face à l'illicitoyenneté dans les outre-mer.
AXE 1 : REFORME CONSTITUTIONNELLE ET NORMATIVE.
1° Supprimer la dichotomie entre articles 73 et 74 de la Constitution. La distinction actuelle entre DROM (article 73) fondée sur le principe de l’identité législative et COM (article 74) fondée sur le principe de la spécialité législative est une source de complexité et d’inégalités. La vérité est que toutes les outre-mer sont situées sur des bassins de vie géographiquement différents du bassin hexagonal et européen avec des normes nécessairement différentes. Remplacer ces deux articles par un article unique, renvoyant à une loi organique pour chaque collectivité, permettrait de simplifier le système et de mieux prendre en compte les spécificités de chaque territoire. Cette réforme, défendue depuis 2020 par le rapport sénatorial établi par Michel Magras, ancien sénateur de Saint-Barthélemy, est une condition sine qua non pour une justice équitable. Elle ouvrirait aussi la voie à une autonomie juridique accrue pour les territoires qui le souhaitent, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie. Ce pertinent et précieux rapport a été complété et actualisé notamment par plusieurs rapports ultérieurs particulièrement éclairants et intéressants : rapport d’information sur les outre-mer dans la Constitution de Stéphane Artano, ancien sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon ; rapport d’information sur l’évolution des outre-mer de Michelin Jacques et Stéphane Artano.
2° Concrétiser une loi annuelle d’adaptation du Droit pour coller aux réalités et spécificités de chaque outre-mer. La proposition de loi n° 172, déposée au Sénat le 28 novembre 2024 par Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy et présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, traduit de manière concrète l’exigence de la différenciation législative nécessaire pour les territoires ultramarins, conformément aux recommandations du groupe de travail sénatorial sur la décentralisation (2020) et du rapport de la délégation aux outre-mer (2023). Ce texte, fruit d’une consultation approfondie des collectivités locales et des acteurs institutionnels, propose ainsi 40 mesures ciblées pour adapter le droit national aux réalités géographiques, économiques et sociales des DROM-COM. Parmi les innovations clés, on relève : l’élargissement des compétences des collectivités en matière de logement (délégation de la gestion des aides de l’État, adaptation de la loi Littoral à La Réunion), le renforcement des outils de lutte contre la vie chère (pouvoirs accrus des exécutifs locaux pour saisir l’Autorité de la concurrence, extension de l’aide au fret aux produits de première nécessité), la simplification des règles de commande publique (réservation de marchés aux PME locales, plans de sous-traitance obligatoires), et l’expérimentation de dispositifs sociaux et environnementaux (volontariat en entreprise, filières REP adaptées). Pour pérenniser cette dynamique, il est proposé d’instituer un rendez-vous législatif annuel dédié à l’actualisation du droit outre-mer, permettant d’intégrer progressivement les besoins émergents — comme ceux liés à la transition écologique (géothermie, gestion des déchets) ou à la souveraineté alimentaire (autorisation encadrée de semences locales). Cette approche, combinée à des habilitations renforcées pour les collectivités (ex. : Martinique en matière d’énergie, Saint-Pierre-et-Miquelon pour les transports maritimes) et à un meilleur fléchage des fonds européens, offrirait un cadre juridique agile et inclusif, capable de concilier cohésion républicaine et autonomie locale. Une telle loi, complétée par un mécanisme d’évaluation périodique de son impact, constituerait un levier essentiel pour réduire les inégalités territoriales et valoriser le potentiel unique des outre-mer. Le principe d’une loi d’actualisation annuelle pour l’Outre-mer offrirait une souplesse dont on comprend difficilement les raisons pour lesquelles elle n’a pas été à ce jour adoptée.
3° Instituer un mécanisme d’adaptation renforcé des normes européennes aux régions ultrapériphériques (RUP). Pour remédier aux inadéquations persistantes entre les normes européennes et les réalités spécifiques des régions ultrapériphériques (RUP), il est impératif d’instituer un mécanisme systématique et contraignant d’adaptation, en s’appuyant sur les dispositions de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), trop rarement mobilisées à ce jour. Il convient de développer ainsi une double approche : d’une part, réviser en urgence les textes existants pour lever les obstacles identifiés, notamment en matière d’autonomie alimentaire et énergétique, de simplification des aides d’État, ou encore de mise en conformité des flottes de pêche en adaptant les règles de durabilité, les plafonds de minimis, et les critères de marquage CE aux contextes locaux. D’autre part, intégrer un « réflexe RUP » dans l’élaboration des futures normes, en modifiant les lignes directrices « Mieux légiférer » pour imposer une évaluation d’impact ex ante spécifique aux RUP, ainsi qu’un examen périodique quadriennal des effets des réglementations en vigueur. Enfin, pour garantir une meilleure insertion économique régionale, les RUP devraient être associées en tant qu’observatrices aux instances de gouvernance des accords commerciaux de l’UE avec les pays tiers voisins, afin de faciliter leur ancrage dans leur environnement géographique immédiat. Ces mesures, combinées à un renforcement des flexibilités financières dans le cadre du CFP 2028-2034, permettraient de débloquer le potentiel économique, environnemental et social de ces territoires, tout en valorisant leur rôle de relais des valeurs européennes dans des zones stratégiques du globe. L’idée force est de rendre le cadre du droit communautaire compatibles avec les réalités des bassins de vie des RUP françaises afin qu’il devienne un atout et non un handicap, comme c’est actuellement le cas dans un certain nombre de situations.
4° Etendre les dispositions de la Charte sociale européenne des droits sociaux aux Outre-mer pour garantir conventionnellement l’accès à des droits fondamentaux (eau, logement, santé) conformes aux standards européens, et combler le vide juridique actuel. L’exclusion actuelle des habitants hors hexagone conduit à discriminer la population française en deux catégories : celle de l’hexagone et celle de l’Outre-mer comme l’a relevé la décision du Comité européen des droits sociaux du 19 mars 2025, contredisant ainsi les termes du premier alinéa de l’article 1er de notre Constitution, qui proclame solennellement l’égalité des citoyens devant la loi sur l’ensemble du territoire de la République. Le Conseil national des barreaux a donné le tempo en adoptant, sur notre proposition, le 13 juin 2025 une motion demandant solennellement au Gouvernement de procéder sans délai à la déclaration expresse auprès du Secrétaire général du Conseil de l’Europe en vue d’étendre sans réserve les dispositions de la Charte européenne des droits sociaux à l’ensemble des territoires ultramarins français. Sur notre proposition, la présidente du Conseil national des barreaux Julie Couturier a adressé en ce sens un courrier en date du 27 novembre 2025 au Premier ministre Sébastien Lecornu en lui rappelant que « cette exclusion heurte nos principes constitutionnels et est incompatible avec les valeurs républicaines ». Il est à notre sens dommage que la commission d’enquête sur les dysfonctionnements de la justice en outre-mer n’ait pas formulé une telle recommandation qui n’est pas que symbolique. Peut-on parler d’unité républicaine lorsque les garanties sociales varient selon le lieu de résidence ?
5° Adapter les normes juridiques aux bassins de vie ultramarins. Les lois et règlements hexagonaux sont souvent conçues pour l’Hexagone, puis appliquées telle quelle en Outre-mer, sans tenir compte des réalités sociales, économiques ou géographiques. Pourtant, un délit de chasse en Guyane n’a pas les mêmes implications qu’en Sarthe, et une procédure de divorce à Mayotte doit pouvoir intégrer les spécificités du droit musulman local. Une clause d’adaptation automatique pourrait être introduite dans les textes, obligeant le législateur à évaluer l’impact ultramarin de chaque nouvelle loi. Cette approche, que nous avions déjà préconisée, permettrait d’éviter des injustices flagrantes, comme l’application rigide du code de l’urbanisme dans des territoires où l’habitat informel est la norme. Le rapport sur l’avenir institutionnel des outre-mer réalisé par les députés Philippe Gosselin et Davy Rimane en 2025 est très intéressant car il replace chaque territoire ultramarin dans leur bassin de vie et leur réalité régionale.
6° Recourir à des mesures d’expérimentation normative sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution. Le recours à ce dispositif permettrait de vérifier l’adaptation des règles à des situations atypiques et de doter les préfets et les autorités de poursuite judiciaire (procureur général, procureurs) d’outils juridiques idoines et calibrés aux problématiques rencontrées dans leurs bassins de vie, tout en garantissant l’exercice des droits fondamentaux (voir notre article « Répondre rapidement aux normes inadaptées par l’expérimentation normative ? », Actu-Juridique, 21 octobre 2024). Un système juridique n’est pertinent que s’il permet de répondre aux problématiques qui se posent au corps sociétal qu’il a pour objectif de réguler. Trouver une voie adaptée pour répondre notamment à la délinquance des territoires ultramarins face aux fléaux notamment du narcotrafic et également des méthodes de déstabilisation par des puissances étrangères. Le Sénat a formulé un certain nombre de recommandations pertinentes allant dans ce sens.
AXE 2 : GOUVERNANCE DE L’ETAT ET PILOTAGE OUTRE-MER.
7° Créer un pôle Outre-mer interministériel auprès du Premier ministre : les problèmes de l’Outre-mer ne relèvent pas seulement de la justice, mais également de plusieurs autres ministères, tels notamment ceux de l’éducation, de la santé. Un pôle interministériel, associant ainsi la Chancellerie, le ministère des Outre-mer, et les autres départements concernés, permettrait de dépasser les cloisonnements et de mettre en place des politiques transversales. Ce pôle aurait pour mission de former les fonctionnaires aux enjeux ultramarins, de mutualiser les moyens, et de garantir une cohérence d’action sur le terrain. Il pourrait aussi servir de plateforme d’échange entre les territoires, pour partager les bonnes pratiques et éviter les doublons.
8° Transformer le ministère des Outre-mer en un véritable ministère de plein exercice, structuré par bassin de vie ultramarin : la Direction des Outre-mer du ministère des Outre-mer (DGOM) doit être à cet effet une véritable administration de mission organisée par mission de bassin de vie : bassin amazonien pour la Guyane, bassin antillais pour la Martinique et la Guadeloupe, bassin indien pour la Réunion, bassin des Comores pour Mayotte, bassin pacifique pour la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna et bassin polynésien pour la Polynésien. Cela permettra ainsi une approche territorialisée pour chaque territoire, eu égard aux spécificités de chacun d’eux afin d’avoir d’une part, une connaissance complète et fine de chaque outre-mer et d’autre part, d’anticiper surtout ses problématiques et crises potentielles sur le plan sociétal. S’inscrire dans l’action permanente et non pas dans la réaction en fonction de crises. Apporter une réponse différenciée par territoire.
9° Créer une direction « Outre-mer » au sein de la Chancellerie. Aujourd’hui, les politiques judiciaires ultramarines sont gérées de manière éclatée, sans vision d’ensemble. Une direction dédiée, travaillant en étroite collaboration avec le ministère des Outre-mer, permettrait de coordonner les actions, d’anticiper les crises, et de proposer des solutions sur mesure. Cette structure aurait pour mission d’harmoniser les pratiques entre les différents territoires, de suivre l’application des réformes, et de servir d’interface avec les acteurs locaux. Elle pourrait aussi jouer un rôle de veille stratégique, en identifiant les risques de tensions sociales ou de dysfonctionnements judiciaires avant qu’ils ne dégénèrent.
10° Instituer une conférence annuelle des chefs de cours et de juridictions ultramarines. Les chefs de cour et de juridictions ultramarins sont souvent isolés, confrontés à des défis uniques (éloignement, insécurité, pénurie de moyens) sans pouvoir compter sur un soutien suffisant de la Chancellerie. Une conférence annuelle, réunissant ces responsables, les ministres concernés et les représentants des barreaux, serait l’occasion de faire remonter les problèmes, de partager des solutions, et de définir une stratégie commune. Cette instance pourrait aussi associer des experts locaux (anthropologues, économistes) pour éclairer les débats. Cette conférence serait un outil de gouvernance participative, indispensable pour restaurer la confiance dans les institutions.
11° Créer un observatoire de l’égalité en Outre-mer. Les inégalités entre l’Hexagone et les territoires ultramarins sont 4 à 8 fois plus marquées en matière de pauvreté, d’accès à la santé, ou encore d’espérance de vie. Pourtant, il n’existe aujourd’hui aucun outil dédié pour mesurer, analyser et corriger ces disparités de manière systématique. La création d’un observatoire de l’égalité en Outre-mer, placé sous l’autorité du ministère des Outre-mer, permettrait de centraliser les données, d’identifier les territoires les plus en difficulté, et de proposer des solutions adaptées pour chaque territoire ultramarin. Cet observatoire publierait un rapport annuel comparant les indicateurs sociaux, économiques et judiciaires entre les DROM-COM et l’Hexagone, et formuler des recommandations ciblées. À Mayotte, où 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, ou en Guyane, où le PIB par habitant est inférieur de 56 % à la moyenne nationale, un tel outil serait indispensable pour objectiver les besoins et justifier des politiques publiques différenciées. Il s’agirait aussi d’un levier pour responsabiliser l’État et évaluer l’efficacité des mesures mises en place.
12° Créer un observatoire national de la continuité territoriale. Cette proposition correspond à la recommandation n° 9 du rapport Serva-Vida précité sur la continuité territoriale. Cet observatoire permettrait ainsi de mesurer et d’évaluer de manière régulière les effets de la discontinuité que subissent les territoires insulaires et ultramarins, ainsi que les besoins qui existent en matière de mobilités. Il permettrait d’apporter des réponses différenciées aux problèmes de continuité multiformes rencontrés dans l’Outre-mer plurielle.
AXE 3 : LANGAGE INSTITUTIONNEL, IDENTITE ET HISTOIRE.
13° Substituer le terme « Hexagone » à « Métropole » dans les textes officiels en rompant avec un héritage colonial. Le langage institutionnel perpétue souvent, à l’insu même de ses rédacteurs, un vestige linguistique de l’époque coloniale qui perpétue de manière insidieuse une hiérarchie implicite entre le « centre » et les « périphéries » et qui alimente ainsi un sentiment d’exclusion chez les Ultramarins. Le terme « métropole », utilisé dans les textes officiels, renvoie en effet à une époque où la France administrait ses territoires d’Outre-mer comme des colonies, avec une relation de domination et une hiérarchie implicite entre « centre » et « périphérie ». Or, la France du XXIe siècle se doit de refléter une République une et indivisible, où chaque territoire, qu’il soit continental ou ultramarin, est traité sur un pied d’égalité. Remplacer systématiquement « métropole » par « Hexagone » ou « France hexagonale » dans les lois, décrets et communications publiques serait un premier pas symbolique, mais puissant, pour reconnaître la pleine appartenance des Outre-mer à la Nation. Cette mesure, déjà défendue par l’ancienne députée Maina Sage en 2021, vise à dépasser les stigmates historiques et à ancrer dans les mentalités l’idée que l’Outre-mer n’est pas une annexe lointaine, mais une composante essentielle de la souveraineté française. Un tel changement, bien que sémantique, aurait un impact concret sur la perception que les Ultramarins ont de leur place dans la République, et sur la manière dont les institutions les considèrent. Remplacer systématiquement « métropole » par « Hexagone » ou « France hexagonale » n’est pas une simple question sémantique, mais un acte politique fort. Comme nous l’avons souligné dans notre tribune publié le 5 octobre 2025 dans le journal Le Monde « Employer “métropole” pour désigner la France continentale, c’est prolonger la logique postcoloniale d’un centre dominant et de territoires relégués au rang de marges ». Ce serait un premier pas vers la reconnaissance symbolique de l’égalité territoriale. Elle s’inscrit dans une démarche plus large de décolonisation des mentalités, indispensable pour construire une citoyenneté pleinement inclusive.
14° Intégration de l’histoire coloniale et des réalités ultramarines dans les formations juridiques. Ajouter des modules spécifiques dans les écoles de la magistrature et les facultés de droit, en partenariat avec des historiens et des anthropologues spécialistes des outre-mer. Inclure des cas pratiques sur l’accès à l’aide juridictionnelle et les spécificités culturelles.
15° Intégrer la pluralité identitaire et coutumière. A l’instar de la démarche opérée par le premier président et le procureur général de la cour d’appel de Nouméa, nous considérons qu’il est nécessaire que la justice s’adapte, dans certains territoires, aux réalités coutumières. Une telle mesure ne peut que renforcer la légitimité de la justice aux yeux des populations, et réduirait ainsi les tensions liées à un système perçu comme étranger.
16° Assurer une véritable identité ultramarine au sein d’organismes à représentation nationale professionnelle. Pour l’heure, force est de constater que les ultramarins sont difficilement visibles à ce niveau au niveau d’organismes professionnels nationaux, lesquels ont une vision territoriale étriquée figée sur les problématiques hexagonales.
AXE 4 : ACCES AU DROIT, AIDE JURIDICTIONNELLE ET PROFESSIONS.
17° Instituer un plafond ultramarin d’accès à l’aide juridictionnelle. L’aide juridictionnelle, mécanisme clé pour garantir l’accès à la justice, illustre parfaitement cette fracture. Dans l’Hexagone, le plafond de ressources pour en bénéficier est fixé à 1 574 € par mois pour une personne seule (en 2025), avec une aide totale pour les revenus inférieurs à 1 049 €. Dans les outre-mer, où le coût de la vie est bien plus élevé et les revenus souvent informels ou irréguliers, ces seuils sont identiques, sans adaptation aux réalités locales. Il en résulte qu’une grande partie des ultramarins, bien que précaires, se retrouvent exclus du dispositif faute de pouvoir justifier de revenus stables ou de documents administratifs.
18° Créer une ligne budgétaire spécifique pour l’aide juridictionnelle en Outre-mer. L’aide juridictionnelle, destinée à garantir l’accès au droit pour tous, est aujourd’hui sous-financée et mal adaptée aux réalités ultramarines. Les plafonds de ressources, calqués sur ceux de l’Hexagone, ne tiennent pas compte du coût de la vie exponentiel dans les DROM-COM (jusqu’à +55 % en Polynésie). Conséquence : des milliers de justiciables ultramarins, bien que précaires, se retrouvent exclus du dispositif. Une ligne budgétaire spécifique, fléchée vers l’Outre-mer, permettrait de relever les plafonds d’éligibilité (+30 % en Guyane, +20 % à La Réunion) et de financer des dispositifs innovants, comme les maisons du droit mobiles ou les juridictions itinérantes. Cette mesure s’inscrit dans une logique de justice sociale : comment prétendre à l’égalité républicaine quand l’accès à un avocat devient un luxe pour une majorité de la population ? En outre, une telle transparence budgétaire permettrait de lutter contre l’opacité des financements actuels et d’éviter que les crédits alloués ne soient détournés vers d’autres priorités.
19° Revaloriser l’unité de valeur (UV) pour les avocats ultramarins. Les avocats ultramarins sont confrontés à un double handicap : des honoraires souvent impayés par une population en grande précarité, et des coûts de vie bien supérieurs à ceux de l’Hexagone. La revalorisation de l’unité de valeur (UV), qui sert de base au calcul de leur indemnisation au titre de l’aide juridictionnelle, est une mesure de justice économique. Augmenter l’UV de 20 à 30 % selon les territoires permettrait de pérenniser l’installation des cabinets et d’éviter la désertification juridique de certaines zones. Cette revalorisation pourrait être couplée à un bonus géographique pour les avocats exerçant dans les territoires les plus isolés, afin d’inciter les jeunes à s’y installer.
20° Financer les frais de transport et d’hébergement des avocats en zone isolée. À Wallis-et-Futuna ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, l’absence totale d’avocats oblige les justiciables à se défendre seuls ou à recourir à des « non-avocats » non formés. Pourtant, la solution existe : prendre en charge les frais de déplacement des avocats depuis les territoires voisins (Nouvelle-Calédonie pour Wallis-et-Futuna, Guadeloupe pour Saint-Pierre-et-Miquelon). Un fonds dédié, abondé par l’État pourrait couvrir ces coûts, comme c’est déjà le cas en Polynésie française. Cette mesure, peu coûteuse au regard des enjeux, garantirait enfin le droit à la défense, pilier de l’État de droit. Elle répondrait aussi à une obligation constitutionnelle : celle d’assurer l’égalité devant la justice, où que l’on réside sur le territoire national.
21° Instaurer un dispositif sécurisé de Visioconférence pour régler les problématiques d’accès au droit en garde à vue pour les zones éloignées. Quelle que soit les postures que l’on peut adopter, la réalité des outre-mer exige de trouver des solutions innovantes et disruptives pour régler des situations hors normes, face à des problèmes géographiques. Dans certains endroits, les délais pour la venue d’un avocat s’évère impossible pour des raisons de distance qu’aucun moyen terrestre ne règlera pour l’heure. Pendant ce temps, les droits de la défense sont bafoués, et les risques d’erreurs judiciaires augmentent. Nous préconisons la mise en place d’un dispositif d’assistance à distance, encadré par des avocats formés et rémunérés pour cette mission, permettrait de garantir une présence juridique immédiate, même dans les zones les plus reculées. Ce système, déjà expérimenté avec succès dans certains pays, pourrait s’appuyer sur des visio-conférences sécurisées ou des permanences téléphoniques dédiées.
22° Maintenir le recours au papier dans les zones sans réseau. La dématérialisation intégrale de la justice, prévue pour 2027, est une aberration pour des territoires où l’accès à internet reste aléatoire, voire inexistant. À Saint-Laurent-du-Maroni ou dans les hauteurs de La Réunion, les coupures de réseau sont fréquentes, rendant impossible le dépôt de procédures en ligne. Autoriser le maintien du papier dans ces zones, le temps que les infrastructures numériques soient renforcées, est une question de bon sens et d’équité. Cette mesure éviterait aussi que des justiciables ne soient pénalisés pour des raisons techniques indépendantes de leur volonté. Elle s’inscrit dans une approche réaliste de la transition numérique, qui doit tenir compte des fractures territoriales.
23° Mettre en une CLAJ Outre-mer adaptée à chaque territoire judiciaire ultramarin afin d’intégrer ses réalités locales. La CLAJ (Convention Locale d’Aide Juridique) est une convention qui vise à mettre en place localement des permanences permettant de garantir l’assistance d’un avocat pour tout ou partie des procédures juridictionnelles et non juridictionnelles visées à l’article 91 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié. La souscription est facultative, sachant que l’organisation concrète reste à la discrétion de chaque Barreau. Ce dernier se verra allouer une dotation complémentaire, dont le pourcentage sera déterminé au moment de l’homologation par la Chancellerie, dans un maximum de 20 %. Il répartit cette dotation à son gré, entre complément financiers au profit des avocats concernés et couverture des frais de gestion. L’objectif de la dotation est avant de mieux indemniser les avocats de titre leurs permanences conventionnées au niveau de la CLAJ. Dans certains territoires d’outre-mer, nous constatons que cette CLAJ est totalement déviée de l’objectif d’amélioration de l’indemnisation financière des avocats assurant les permanences et sert plutôt à assurer les frais de déplacement de ces derniers pour exercer leurs missions : résultat il ne reste aucune somme pour les indemniser. Cela doit être corrigé et les frais de déplacement doivent faire l’objet d’une prise en charge déconnectée de la CLAJ outre-mer.
24° Créer un contingent d’avocats pour les territoires délaissés. Pour pallier le manque criant d’avocats dans certaines zones, une bourse nationale pourrait être mise en place, sur le modèle des dispositifs existants pour les médecins. Les avocats volontaires s’engageraient à exercer pendant une durée déterminée en Outre-mer, en échange d’une prime d’installation et d’un accompagnement logistique. Cette bourse serait ouverte aux jeunes diplômés comme aux avocats expérimentés souhaitant s’investir dans une mission de service public. Elle pourrait être gérée par la Conférence des bâtonniers de France qui est en lien avec les 163 ordres locaux de Province, et inclure des formations aux spécificités culturelles et juridiques des territoires ultramarins. Une telle initiative contribuerait à rompre l’isolement judiciaire de populations entières, tout en offrant une expérience professionnelle enrichissante aux praticiens.
AXE 5 : RESSOURCES HUMAINES JUDICIAIRES ET FORMATION.
25° Organiser des concours régionaux de greffiers en Outre-mer. Les greffiers, maillon essentiel de la chaîne judiciaire, sont aujourd’hui recrutés selon les mêmes critères qu’en Hexagone, sans tenir compte des besoins spécifiques des territoires ultramarins. Des concours régionaux, ouverts aux candidats locaux et intégrant des épreuves sur les particularités juridiques ultramarines, permettraient de former une fonction publique adaptée. Ces concours pourraient être organisés en partenariat avec les universités locales, afin de créer un vivier de talents sur place. À terme, cette mesure contribuerait à pérenniser le service public de la justice et à réduire la dépendance aux affectations hexagonales.
26° Instituer un plan d’accompagnement matériel et financier pour les magistrats et greffiers affectés en Outre-mer. Les magistrats et greffiers affectés en Outre-mer se heurtent à des difficultés logistiques (logement, scolarité des enfants) qui découragent les candidatures. Un pack d’installation, incluant une avance sur traitement, un logement de fonction et un soutien à la scolarité, serait un levier puissant pour rendre ces postes plus attractifs. Ce dispositif pourrait être complété par des formations interculturelles, afin de préparer les nouveaux arrivants aux réalités locales. En Guyane, par exemple, un magistrat doit souvent gérer des dossiers liés à l’orpaillage illégal ou aux conflits communautaires, sans avoir reçu la moindre préparation. Un tel accompagnement réduirait le taux d’absentéisme (aujourd’hui supérieur de 30 % à la moyenne nationale) et améliorerait la qualité de la justice rendue.
27° Inciter et prioriser les magistrats ultramarins à revenir exercer dans leur territoire. La fuite des cerveaux touche aussi la justice : de nombreux magistrats et avocats ultramarins, formés en Hexagone, ne retournent jamais dans leur territoire d’origine. Pour inverser cette tendance, des incitations fiscales et des parcours de carrière valorisants (postes à responsabilité réservés) pourraient être mis en place. Une campagne de sensibilisation, mettant en avant l’impact social d’une carrière en Outre-mer, pourrait aussi convaincre les jeunes diplômés de s’y installer. Cette mesure aurait un double bénéfice : combler les manques d’effectifs et renforcer la légitimité d’une justice rendue par des acteurs locaux ressemblant aux personnes qui sont jugées. L’obstacle sur les éventuels conflits d’intérêts n’a pas de réalité puisque de nombreux magistrats hexagonaux sont affectés dans leur territoire sans que cela ne pose de difficulté. De plus, les retours d’expérience de magistrats ultramarins affectés dans leur territoire d’origine prouvent que cela se passe très bien, outre la fierté qui nait au sein d’une population défiante.
28° Instaurer une classe de Prépa-talents dans chaque territoire afin de préparer les jeunes ultramarins aux carrières judiciaires sur l’expérience très pertinente qui est menée par les chefs de cour de la cour d’appel de Basse-Terre.
AXE 6 : ORGANISATION ET POLITIQUES PUBLIQUES SECTORIELLES.
29° Acter à moyen-long terme du principe de la création d’une cour d’appel de plein exercice à Mayotte. On ne peut lutter avec le vent de l’histoire lorsque les réalités des territoires sont radicalement différentes et sont au-dessus des soucis de rationalisation. Il est illusoire de considérer que les réalités réunionnaises et mahoraises sont similaires alors qu’elles sont radicalement différentes. Intégrer la Justice dans une approche des réalités de terrain, notamment sur le plan sociologique est indispensable pour rétablir la confiance républicaine.
30° Créer un observatoire des violences faites aux femmes en Outre-mer au niveau du ministère des Outre-mer en relation avec le ministère de la justice. Cet observatoire préconisé par le rapport Bénin permettrait de recenser les données de chaque territoire et de mesurer surtout la pertinente et les effets de certaines mesures appliquées dans certaines outre-mer. Cela permettrait aux acteurs des territoires d’échanger sur leurs expériences de terrain. La première présidente de la cour d’appel de Papeete a pris l’initiative que nous saluons de créer sur ce territoire un observatoire de cette nature.
31° Centraliser le contentieux administratif ultramarin auprès d’une seule cour administrative d’appel. Il faut savoir que le contentieux administratif de l’outre-mer est traité par deux cours administratives d’appel différentes. Tout le contentieux des tribunaux administratifs des départements et régions d’Outre-mer relève de la cour administrative de Bordeaux alors que celui des tribunaux administratifs de Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna relève de la cour administrative de Paris. Il nous semble indispensable de mener une réflexion sur cette centralisation simplificatrice pour les justiciables ultramarins. Cela permettrait également d’avoir une vision globale et unifiée du contentieux administratif des outre-mer.
32° Passer d’une écologie punitive à une écologie constructive en Outre-mer. Il faut intégrer une fois pour toute que l’Hexagone ce n’est pas l’Outre-mer et que les réalités sont radicalement différentes. A voter des textes hexagonaux sans mesurer les effets dévastateurs en Outre-mer relève de la totale ineptie. L’écologie n’a aucune pertinence lorsqu’elle joue contre les réalités du bassin de vie des gens. Ainsi, la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 dite Hulot mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, est venu interdire toute exploitation de forages en Guyane. Or, le problème est que ces mêmes forages interdits en Guyane se font à proximité des mêmes zones interdites sur lesquelles interviennent les deux pays limitrophes que sont le Brésil et le Suriname. Conséquence pratique : avec un risque écologique étranger évident, la France perd un atout considérable d’assurer sa souveraineté énergique à travers l’exploitation d’hydrocarbures en Guyane. A vouloir être exemplaire sur tout, on finit pas être déconnecté des réalités des bassins de vie et de leurs réalités. Il faut neutraliser les effets de cette loi pour l’Outre-mer.
33° Intégrer les spécificités climatiques dans la politique immobilière carcérale. Les prisons ultramarines, comme celle de Rémire-Montjoly en Guyane, sont souvent surchargées et insalubres, avec des taux d’occupation dépassant 120 %. Pourtant, les critères de construction et de rénovation ne tiennent pas compte des contraintes climatiques (humidité, chaleur, cyclones), qui accélèrent la dégradation des bâtiments. Une norme spécifique devrait être définie pour l’Outre-mer, imposant des matériaux résistants, une ventilation adaptée, et des espaces de détention décents. Cette mesure, couplée à un plan de désengorgement, est indispensable pour respecter la dignité des détenus et éviter de nouvelles condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, comme ce fut le cas en 2020 pour le traitement dégradant infligé dans plusieurs établissements.
34° Doter les territoires d’Outre-mer de structures particulières et organisationnelles nouvelles de lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée par bassin de vie. Il répondre aux réalités de terrains en s’affranchissant du modèle des GIRS pensés pour l’Hexagone en développant des structures plus territorialisées. L’exemple de la Guyane confrontée à une délinquance sud-américaine exige que soit créée au niveau de son territoire et de son bassin de vie une structure guyanaise ne relevant pas d’une juridiction située à plus de 1 800 kilomètres. Les JIRS n’ont pas de réalité et de pertinente outre-mer : il faut des justices territorialisées et de proximité.
35° Organiser tous les deux ans de véritables États généraux de la Justice en Outre-mer portant sur les thématiques sociétales majeures par territoire. Notre proposition formulée dans un article publié le 24 janvier 2023 dans la revue Actu-Juridique a été reprise sous la forme d
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Publié le : 08/12/2025 08 décembre déc. 12 2025Flux FrancetvinfoUn ancien missionnaire d'une organisation caritative basée dans l'Ohio (Etats...Source : la1ere.franceinfo.fr
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Attention à la grippe, 13 hospitalisations ont été recensées
Publié le : 08/12/2025 08 décembre déc. 12 2025Flux FrancetvinfoLa grippe s'installe en Polynésie : 35 cas de grippe A, dont 13 hospitalisati...Source : la1ere.franceinfo.fr
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Appel à témoin : la police recherche des informations pour élucider un meurtre survenu à la gare du TCSP de Mahault au Lamentin
Publié le : 08/12/2025 08 décembre déc. 12 2025Flux FrancetvinfoAprès le décès par arme à feu d’un homme sur le parking du TCSP de Mahault, a...Source : la1ere.franceinfo.fr
